Une première lecture du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église

, par  Phap , popularité : 17%

Je viens de lire le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) remis le mardi 5 octobre 2021 par Jean-Marc Sauvé, son président, à sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) et à Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF).

Faute de temps, j’ai lu le résumé de 80 pages, réservant pour la suite la lecture du rapport complet et du recueil de témoignage. Les passages entre apostrophes sont extraits du résumé.
Je demande pardon par avance pour les éventuelles expressions maladroites ou approximatives sur un sujet douloureux qui ne peut les tolérer.


1. Ce que je retiens du rapport

Je retiens de ce rapport plusieurs choses.

Je retiens d’abord le plus important, le courage des victimes qui ont brisé la « chape de silence » qui recouvrait leur cri, leur douleur et leur demande de justice.
Ce courage est à l’origine de la prise de conscience de l’opinion publique et de la décision par l’Église à travers la CORREF et la CEF de mandater la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église.

Je retiens les estimations chiffrées qui permettent de mesurer l’ampleur du fléau :

  • « Le nombre des victimes mineures de clercs, religieux et religieuses dans la population française de plus de 18 ans est en effet estimé à environ 216 000 [entre 1950 et 2020], … 330 000 en tenant compte des personnes en lien avec l’Église »
  • le rapport situe ce nombre de victimes à l’échelle de la société française :
    • « 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes, soit environ 5 500 000 personnes, ont subi pendant leur minorité de telles violences ».
    • « Les violences commises par des clercs, des religieux et des religieuses représentent un peu moins de 4 % de ce total. Celles commises par des personnes en lien avec l’Église catholique (y compris des laïcs) représentent 6 % de ce total ».
  • le rapport donne aussi une estimation des agresseurs : « entre 2 900 et 3 200 … un ratio de 2,5 % à 2,8 % de l’effectif des clercs et des religieux de 1950 à nos jours (115 000 clercs et religieux environ) ».

Le rapport contient de multiples recommandations auprès de la Conférence des religieux et religieuses de France et de la Conférence des évêques de France.
Je retiens la recommandation de subordonner le droit canon de l’Église au code pénal lorsque les infractions concernent les violences sexuelles infligées aux mineurs [1], entre autres l’obligation de signaler à la justice toute violence sexuelle infligée à des mineurs, le secret professionnel (ici le secret de confession) ne devant être invoqué dans ce cas [2]. Le résumé du rapport signale à ce propos une faille dans le code canonique actuel qui se préoccupe plus du "pécheur" que de la victime [3].

Je retiens aussi les recommandations contre le « cléricalisme » - que je traduis par une survalorisation du ministre ordonné par rapport au fidèle baptisé [4]

Je retiens enfin la recommandation de former le sens critique des fidèles, afin qu’ils distinguent la manipulation qui peut se dissimuler derrière des demandes d’obéissance et des interprétations de l’Écriture dévoyées [5]


2. Ma réaction à la première lecture

Le rapport insiste sur le fait qu’il pointe des défaillances institutionnelles et pas seulement individuelles, qui demandent des réformes du même niveau. À mes yeux, il appelle à convertir en particulier une vision de la hiérarchie ecclésiastique au-dessus des hommes et des institutions, en dehors de la société civile et non tenue par ses lois [6].

Cette vision héritée de l’histoire longue explique peut-être l’histoire passée avec le traitement « en interne » des abus sexuels commis par des clercs, religieux et religieuses, alors que l’institution ne disposait plus du pouvoir de coercition et que son droit canon n’était pas adapté aux délits.
Une conception naïve sinon magique de la grâce a pu aussi jouer.

Ma réaction face aux témoignages des victimes tient en deux mots : horreur et tristesse. Horreur devant la noirceur des crimes commis, et tristesse devant ces vies abimées, gâchées.

10§ Je dirai que la compassion et l’exigence de justice nous demandent d’accompagner les victimes :

  • il faut entendre leur douleur sans chercher à la recouvrir de paroles convenues mais en acceptant de s’exposer à l’insoutenable que les victimes ont enduré afin de les aider – dans toute la mesure où cela dépend de nous – à supporter l’insupportable ;
  • il faut aussi les accompagner dans leur demande de réparation et leur exigence de justice.

Pour les croyants, cela demande d’avoir confiance en Celui qui a promis que le jour vaincra la nuit, que la justice, le bien et la vie l’emporteront malgré et contre tout.


© octobre 2021, fr. Franck Guyen op

[1

"... Cela passe aussi par une meilleure articulation avec la justice pénale étatique, c’est-à-dire une reconnaissance de la prééminence de cette dernière dans le traitement pénal des infractions en cause, qui inclut l’absence d’interférence dans ses enquêtes et procédures".

[2

« Cela passe enfin par l’édiction par l’Église de directives précises aux confesseurs sur le secret de la confession qui ne peut pas permettre de déroger à l’obligation, prévue par le code pénal et conforme, selon la commission, à l’obligation de droit divin naturel de la protection de la vie et de la dignité de la personne, de signaler aux autorités compétentes les cas de violences sexuelles infligées à un mineur ou à une personne vulnérable.
« Il ne s’agit pas de remettre en cause le secret de la confession en tant que tel mais, seulement dans le champ des violences sexuelles sur mineurs, de rappeler la lettre et l’esprit de la loi de la République (articles 223-6, 226-14, 434-1 et 434-3 du code pénal) qui s’impose à tous sur le territoire de la République. »

[3N

"...une partie de l’inadéquation des réponses apportées par l’Église aux cas lui ayant été signalés réside dans les lacunes de ce droit, surtout conçu en vue de la protection des sacrements et de l’amendement du pécheur – la personne victime étant la grande absente – et largement inadapté, dans son volet pénal, à la répression des violences sexuelles qu’il ne nomme d’ailleurs jamais en tant que telles. La commission conclut à l’inadéquation du droit canonique aux standards du procès équitable et aux droits de la personne humaine dans la matière si sensible des agressions sexuelles sur mineurs."

et plus loin :

"Cela passe d’abord par une claire définition de ces infractions dans le code de droit canonique et ses textes d’application, à la fois en précisant les normes de référence applicables, en établissant une échelle de gravité des infractions et en diffusant un recueil de jurisprudence en cette matière. Cela passe ensuite par une refonte de la procédure pénale canonique, pour la rendre respectueuse des règles essentielles du procès équitable et pour faire une place aux victimes dans la procédure, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui"

[4

"Recommandation n° 3 :
– identifier toutes les formes d’abus de pouvoir… ou de survalorisation et de mise en surplomb du prêtre par rapport à l’ensemble des baptisés. …
Recommandation n° 4 :
– identifier les exigences éthiques du célibat consacré au regard, notamment, de la représentation du prêtre et du risque qui consisterait à lui conférer une position héroïque ou de domination."

[5

"Recommandation n°3 :
... dans tout type de formation et de catéchèse, souligner que les Évangiles doivent être source d’inspiration pour un accompagnement où l’enjeu est de faire advenir le sujet dans un vis-à-vis et non pas de le dominer dans une manipulation.

Recommandation n° 6 :
– veiller à toujours faire droit à la conscience dans le discernement et dans la vie religieuse, au sein des enseignements dispensés dans les facultés de théologie, les séminaires ou les formations diocésaines. Chercher dans ces enseignements à mettre au jour les voies d’une conscience éclairée par une intelligence critique ;
– passer au crible l’enseignement des règles des différents ordres religieux et les règles des communautés dites nouvelles pouvant prêter au dévoiement des exigences d’obéissance et de silence ;
– dans toutes les formes de catéchèse, enseigner aux fidèles et, en particulier, aux plus jeunes et aux adolescents l’exercice de la conscience critique en toutes circonstances.
Recommandation n° 7 :
– dans tout type de formation et de catéchèse, enseigner que les Évangiles donnent l’exemple d’une parole comme dynamique, non pas de pouvoir sur l’autre, mais de volonté de le faire grandir et advenir, rappelant que, comme dans un échange humain reposant sur des bases saines, la parole ne doit être prise que pour être donnée ;
– mettre au jour les expressions bibliques dévoyées à des fins de manipulation et aider à une lecture à la fois critique et spirituelle de la Bible à tous les niveaux de la formation."

[6Pour moi, cette vision remonte à la réforme grégorienne menée par le pape Grégoire VII (1020-1085) afin de libérer l’institution ecclésiastique de l’emprise du pouvoir temporel : il en est résulté une institution disposant de ses propres lois qui n’avait pas à rendre compte à la société civile.
Le Dictatus Papae de Grégoire VII stipule à propos du pape :

N°18 : Sa sentence ne doit être réformée par personne et seul il peut réformer la sentence de tous.
N°19 : Il ne doit être jugé par personne.

Sans doute le Concile de Trente (1542-1563), en réaction à la Réforme protestante, a-t-il encore accentué la différence du ministre ordonné par rapport aux fidèles.

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