Une première lecture du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église
1§ Je viens de lire le rapport de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église) remis le mardi 5 octobre 2021 par Jean-Marc Sauvé, son président, à sœur Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF) et à Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF).
Faute de temps, j’ai lu le résumé de 80 pages, réservant pour la suite la lecture du rapport complet et du recueil de témoignage. Les passages entre apostrophes sont extraits du résumé.
Je demande pardon par avance pour les éventuelles expressions maladroites ou approximatives sur un sujet douloureux qui ne peut les tolérer.
1. Ce que je retiens du rapport
Je retiens de ce rapport plusieurs choses.
2§ Je retiens d’abord le plus important, le courage des victimes qui ont brisé la « chape de silence » qui recouvrait leur cri, leur douleur et leur demande de justice.
Ce courage est à l’origine de la prise de conscience de l’opinion publique et de la décision par l’Église à travers la CORREF et la CEF de mandater la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église.
3§ Je retiens les estimations chiffrées qui permettent de mesurer l’ampleur du fléau :
- « Le nombre des victimes mineures de clercs, religieux et religieuses dans la population française de plus de 18 ans est en effet estimé à environ 216 000 [entre 1950 et 2020], … 330 000 en tenant compte des personnes en lien avec l’Église »
- le rapport situe ce nombre de victimes à l’échelle de la société française :
- « 14,5 % des femmes et 6,4 % des hommes, soit environ 5 500 000 personnes, ont subi pendant leur minorité de telles violences ».
- « Les violences commises par des clercs, des religieux et des religieuses représentent un peu moins de 4 % de ce total. Celles commises par des personnes en lien avec l’Église catholique (y compris des laïcs) représentent 6 % de ce total ».
- le rapport donne aussi une estimation des agresseurs : « entre 2 900 et 3 200 … un ratio de 2,5 % à 2,8 % de l’effectif des clercs et des religieux de 1950 à nos jours (115 000 clercs et religieux environ) ».
4§ Le rapport contient de multiples recommandations auprès de la Conférence des religieux et religieuses de France et de la Conférence des évêques de France.
Je retiens la recommandation de subordonner le droit canon de l’Église au code pénal lorsque les infractions concernent les violences sexuelles infligées aux mineurs [1], entre autres l’obligation de signaler à la justice toute violence sexuelle infligée à des mineurs, le secret professionnel (ici le secret de confession) ne devant être invoqué dans ce cas [2]. Le résumé du rapport signale à ce propos une faille dans le code canonique actuel qui se préoccupe plus du "pécheur" que de la victime [3].
5§ Je retiens aussi les recommandations contre le « cléricalisme » - que je traduis par une survalorisation du ministre ordonné par rapport au fidèle baptisé [4]
6§ Je retiens enfin la recommandation de former le sens critique des fidèles, afin qu’ils distinguent la manipulation qui peut se dissimuler derrière des demandes d’obéissance et des interprétations de l’Écriture dévoyées [5]
2. Ma réaction à la première lecture
7§ Le rapport insiste sur le fait qu’il pointe des défaillances institutionnelles et pas seulement individuelles, qui demandent des réformes du même niveau. À mes yeux, il appelle à convertir en particulier une vision de la hiérarchie ecclésiastique au-dessus des hommes et des institutions, en dehors de la société civile et non tenue par ses lois [6].
8§ Cette vision héritée de l’histoire longue explique peut-être l’histoire passée avec le traitement « en interne » des abus sexuels commis par des clercs, religieux et religieuses, alors que l’institution ne disposait plus du pouvoir de coercition et que son droit canon n’était pas adapté aux délits.
Une conception naïve sinon magique de la grâce a pu aussi jouer.
9§ Ma réaction face aux témoignages des victimes tient en deux mots : horreur et tristesse. Horreur devant la noirceur des crimes commis, et tristesse devant ces vies abimées, gâchées.
10§ Je dirai que la compassion et l’exigence de justice nous demandent d’accompagner les victimes :
- il faut entendre leur douleur sans chercher à la recouvrir de paroles convenues mais en acceptant de s’exposer à l’insoutenable que les victimes ont enduré afin de les aider – dans toute la mesure où cela dépend de nous – à supporter l’insupportable ;
- il faut aussi les accompagner dans leur demande de réparation et leur exigence de justice.
Pour les croyants, cela demande d’avoir confiance en Celui qui a promis que le jour vaincra la nuit, que la justice, le bien et la vie l’emporteront malgré et contre tout.
© octobre 2021, fr. Franck Guyen op